Prisonniers des gouttes d’eau, nous ne sommes que des animaux perpétuels
Philippe Soupault, La glace sans tain
Ô : Poème inflammable
La poésie baignera la pénombre de votre cachot. Comme un liquide amniotique dont vous auriez gardé la timbale juste après la perte des eaux, elle vous protègera de l’isolement, des privations et des humiliations qui vous seront infligées.
Si vous connaissez des poèmes par cœur, on pourra vous emprisonner, vous abandonner, vous exiler, vous priver de liberté ou encore vous battre, il vous restera toujours une syllabe, un mot, un vers tout entier, un poème pour vous évader.
Vous pleurerez de ne plus pouvoir vous pencher sous les anges d’une fontaine, vous asperger d’eau froide avant de prendre un bain de soleil.
Quelque chose comme le vol d’un épervier flottera au-dessus des rondes captives, l’errance d’une guirlande sur le rempart insulaire protégeant l’entrée d’un donjon.
Personne ne vous offrira à boire. Aucune assiette à table pour nourrir l’étranger.
Vous serez seul. Comme des milliers de fois des poètes ont écrit derrière les barreaux.
Vous serez là, vide de sens, acculé par la soif, poète à l’intérieur de quoi la source naît d’une résurgence et la rivière aussi de la rage d’une expression.
Au piquet d’une solitude plus grande que celle d’un écolier abandonné au mur d’un préau, vous sentirez la folie envahir la poche de votre cervelle, les guenilles d’un corps coller au linceul de la peau.
Pourvu que des bouches s’ouvrent, fassent résonner des clochers, que des vers sortent du puits de la langue où le poème attend accroché au fer du gosier.
Pourvu que l’eau, dont chaque goutte est une page d’écriture à la recherche d’un cahier d’écolier, perce les canaux souterrains du silence à la vitesse d’un boulet.
Eaux profondes habitées par le métal froid de l’exil, carapaces de verre, dédales de l’enfermement d’où tomberont sous les coups d’un marteau lyrique les barrières de votre cocon.
Ouvrez les vannes ! Faites sauter les bouchons ! Donnez à l’eau qui vous regarde l’horizon d’une délicatesse infinie !
Et peu importe les imperfections, les méandres, les chutes, les baisses de pression, les périodes arides où plus rien ne sort du conduit, les bains de boue, les immondices, peu importe la boue des clochettes, les vases clos, les écluses hors d’usage, la vision idéale des purs esprits. L’eau chassera de vos maux la haine, le mal de reins que sonde en tous points votre envie d’en finir.
Comme les péchés de naguère vous serez sauvé du déluge par la patte d’un chat nourricier, la main tendue d’un torrent dont la chute remonte à l’enfant des garrigues aux pieds nus.
Eau des caresses, verticalité d’une averse en dehors du champ labouré.
Et peu importe les bonnes manières, l’art policé d’une cour dont le poète serait le bouffon.
Vous serez là, un filet d’eau en guise de souffle faisant éclater les rochers, poussant les fleurs à éclore des éboulis, rendant la loi à sa fragilité première, pénétrant le sous-sol de l’herbe, le chant des grillons pour rejoindre les combats à venir.
Si vous êtes enfermé et que personne ne comprenne votre supplique.
Si vous n’êtes pas encore né et que le regard des autres vous soit comme un avis de tempête.
Si pour parler il vous faut franchir tellement de menaces qu’à la fin vous restez aussi silencieux qu’une proie.
Vous serez seul.
Une salive intarissable fera de votre bouche l’oracle d’un palais de cristal.
Ni la tristesse ni la joie ne sauront endiguer vos larmes.
Une rougeur sur la joue fera reconnaître l’épreuve, le charme parfois d’une émotion jamais contenue.
Il y aura des moments de folie, la sueur constitutive de l’angoisse se transformera en perles de pluies, l’urine, véhicule agréé de la tendresse des animaux, s’écoulera dans le matin prairial de vos rêveries.
Promeneur solitaire vous serez perdu pour la vie. L’eau d’une calebasse vous suivra comme le breuvage d’un impossible incendie.
Vous verrez, de vos propres yeux, l’invisible, la mort qui tue, le temps des eaux dormantes, des mares ensorcelées, des flaques d’eau apeurées sous la roue, les murs d’enfance dont on ne sépare jamais les secrets.
Vous survivrez dans la complicité des mots enjambés, des mots rares, la pudeur des mots enflammés, celle des mots remplis de nervures érotiques, des mots vertiges dont la flûte se joue des cordes et des interdits.
Ils vous emporteront partout où vous irez, loin, très loin dans le sous-bois des arbres et quand vous atteindrez la cabane héroïque d’une naïade des galets lumineux vous guideront jusqu’à la fascination des pavots.
La poésie coulera dans vos veines comme les lettres de l’alphabet à travers les formules de l’encrier. A chaque vers la rosée fraîchira la lame de votre attirance. Vous flotterez dans la lueur irréelle d’une petite mort annoncée.
Tout ce qui existe vous sera inconnu. Vous serez aussi proche de la nature que la terre parfois peut l’être de la voie lactée.
Vous marcherez !
Pas sur l’eau mais la flaque entière éclaboussera votre mal d’aimer.
Sur les pavés de la mémoire, le craquement ombellifère des charpentes et des ponts-levis.
Afin de briser le cercle tout tracé d’une vie livrée sur mesure vous monterez en spirale les marches d’un prochain tourbillon.
Quelles que soient les entraves vous marcherez vers les concrétions.
La tombe sera votre chemin.
Elle sera dans l’arbre et vous ne verrez rien.
Rien que du feu, que des morceaux d’étincelles qui jailliront de la nacelle gazeuse d’un lac.
Seul au milieu d’une force, vous irez droit devant, débordant les nuits froides de ce qu’en quelques vers la folie d’une vie fait germer.