Mes ami/es, mes sœurs, mes petits frères,

« Soyez au fond de la douce lumière qui depuis toujours veille en silence sur nous un peu chacun de ce vent calme qui sur la joue des poètes a soufflé. Il n’y a pas de temps à perdre. On dit que le sable va disparaître, qu’on assassine des éléphants, que les arbres, ces grands seigneurs, dont les feuillages la nuit murmurent en silence, périssent comme des esclaves vendus au plus offrant. Mes ami/es, mes sœurs, mes petits frères, au-delà de cette amitié qui nous unit à la communauté invisible des êtres chers vivant au milieu de la nuit, il n’y a pas de jours qui ne puissent se lever sans le bruissement pensif des incertitudes, pas de mots non plus qui ne puissent unir notre action aux monades de l’herbe et aux doutes des vagabonds. Nous sommes seuls. Quelquefois le matin je vois de la lumière, j’approche en vain, je cours, je m’agite, je fais du bruit. Il faut continuer, reprendre la besace et pour un bout de chemin ensemble se contenter de la mie partagée d’un pain. Nous sommes seuls comme ces caravanes dont pour toujours les étoiles illuminent les campements. La terre est notre séjour dans le ciel. Il n’y a pas d’autres pays, d’autres paysages que de penser à travers les portes entr’ouvertes ce qu’a d’universel l’intervalle où communique chacun de nos minuscules jardins. La liberté d’aller et venir ensemble est commune à notre idéal. Nous trouvons dans la perfection de ce que demain nous allons entreprendre la force intrépide de vivre entre nous séparés. Chanter ne sert à rien si ce n’est pour changer le monde. Rapprocher ceux qui ont soif d’absolu du peuple des timbales et des fontaines en paucité. Mes ami/es, nous sommes seuls dans la pensée comme une barque en pleine utopie de vivre, un prisonnier dans sa bulle attendant une goutte d’eau, un rameau venue du dehors pour s’évader des artifices qui marquent à jamais le tapis de nos intentions. Ne dormez pas. Un jour j’ai goûté au soleil sur la branche d’un arbre. Il n’y avait plus rien que le ciel au dessus des nuages mais la terre abondait de visages et j’ai voulu descendre pour aller écouter de plus près les coquillages enfantins qui mènent de la vie prénatale à la joie. Si tous les éléphants devaient disparaître je serais si seul aujourd’hui que la vue encore d’un trompe l’œil me ferait aimer leur science à des années lumière de nos égarements. Mes ami/es, mes sœurs, mes petits frères, ne voyez nulle possession au désir aujourd’hui que j’ai de vous attarder. Un mot de vous et c’est la sororité d’un oiseau qui parle, un impossible retour que j’entends des îles enchantées. Les poèmes sont des actions foudroyantes, des vertiges d’indécente beauté. Il dérangent parce qu’ils n’ont rien à perdre. Ce qu’ils donnent est sans retour partagé. Ils n’ont ni lieu pour se répandre ni frontière pour se protéger. Leur langage est celui de l’étrange. Leur beauté celle qu’on ne verra jamais ailleurs que là où il faut rien attendre. Et tout donner puisqu’on a que deux yeux pour rire. Quelquefois  pudiquement se mettre à pleurer. » Henri Rodier

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