Le geste impensé d’un caillou – Clapàs, juillet 2014

« Comme si rien n’était différent, pas même la joie. Comme si de rien naissaient toutes sortes d’intimités, l’illumination soudaine de ne plus être le centre d’un monde mais un morceau sans lieu, inerte et plein de vie qui flotte là ou ailleurs, cherchant quelqu’un, quelque  chose ou personne, et nulle identité souveraine pour dire autrement qu’il existe ou bien qu’il est. »

À la source négative d’une différence – Clapàs, 2014

« Pour l’arbrisseau des garrigues

L’existence d’un pli rend le pompon

Laineux aussi désirable qu’un

Bouton de nacre la fente inclinée d’un Surplis »


« Au milieu d’une simple harmonie lorsque

La couleur dominante s’efface

Et qu’un rien dont

On avait conclu qu’il n’était là

Pour personne devient au sein même d’un

Corps insoumis

La couleur d’un autre soi-même oubliée

Bien qu’il soit surpris »

Pierre d’attente et fleurs configurées – Encres de Jean Millon – Les Cent Regards, 2014

« La chute immédiate après la perte des eaux est le moment

que choisit l’invisible pour faire irruption sous la peau »


« Autant que l’eau elle est la source

Autant que le poisson elle préfigure l’oiseau

En elle une étincelle ruisselle

À sa vue la nuit noire trouve le toit d’un repas chaud

Mais il n’est pas une fenêtre qu’elle n’ait voulu saisir

De son pouls pierreux

Autant que l’air elle respire

De sa parole dépend le débit des cours d’eau

L’inclinaison des collines

Le torrent des pluis et l’écho »

Pierre d’attente et fleurs configurées – Clapàs, juin 2013

La rose que réfléchit le feuillage n’est pas la fleur mais l’arbre imaginé ce qui frotte au désir ce qui rend la surface concave et le pli murmuré n’est pas la vie qui en toutes choses ensemence de solitude la baguette du coudrier mais le rien qui manque à la chose dont le désir parfois échappe à la volupté.

p. 49


Puis la pierre se retire

On ne voit plus rien que la fleur

L’attente rendait l’impatience inerte

Voici l’inerte au bras de l’éclosion

Depuis l’insurrection de la première pierre

Toute l’inertie d’une force

Rentrant par le moins fréquenté des chemins

Quand les fleurs par milliers

Guettaient l’explosion d’un atome

La pierre l’extension

D’un trèfle à quatre coeurs

Passage cristallin par les massifs de chromosomes

La vie prend en essor la faiblesse des mondes

L’immobile moteur de la flore et des parchemins

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Économie du peu. Suivi de : Épitomé – Clapàs, juin 2013

« Économie: l’agencement harmonieux de tout et de ses parties.

Du peu: la multiplication des choses simples et nécessaires dont l’abondance nous est donnée par surcroît.

Economie du peu: la vie dans le retrait merveilleux d’un monde où quelques mots suffisent à fixer la lumière.

Brièveté d’une forme sensible à la modicité des moyens. »


« Imaginez que vous êtes dans une de ces grandes surfaces où l’on consomme à tout va.

Imaginez que vous n’avez rien à acheter, rien à vendre non plus, mais que vous avez envie de vivre. Imaginez que vous êtes poète et que ce monde marchand où vous êtes tombé par hasard, vous allez lui en donner la beauté d’une promenade enchantée.

Imaginez, comme autrefois, entre les portiques d’une nature idéale, le regard d’un cintre dans une cabine d’essayage, un string sur le tapis roulant d’une caisse enregistreuse, une fille chewing-gum, un déjeuner sur l’herbe au pied d’une machine à boissons. Imaginez vous en paysan sous le regard captif d’une caméra de surveillance, trouvez le passage, allumez tous vos sens. La vie est là, subversive, dans l’abrégé d’un livre de lutte pour la poésie d’aujourd’hui. »

Trois poèmes de survie – Clapàs, mai 2011

« Seigneur si le bon Dieu a une âme promets que dans le paradis il fasse encore des joues qui se frôlent des yeux complices de l’amour et des coccinelles à sept points pour effacer les péchés » Henri Rodier, Trois poèmes de survie

Cartons à poèmes – Illustrations de Christophe Liron – Clapàs, 2011

 
Tu es belle dans la minute

On dirait du papier rempli de chocolat

Tu es belle sans savoir ni comment ni pourquoi

Le climat se réchauffe tu en as plein les doights

Tu es belle dans un monde où pour devenir roi

Il faudrait une reine et je ne vois que toi

Personne d’autre ne pourra monter

Avec la fumée sur le toit

Tu es belle comme du papier de soie

J’ai vu au fond d’une bouteille

Le message oublié qui flotte entre les doigts

Le monde se ferme

A la lisière des villes des oiseaux

chantent encore

Mais ils n’ont pour voler

Que la volière close des lucarnes

et des pigeonniers

Tu es belle comme un éclat de voix

Parfois la nuit je te regarde

On dirait que tu sors toute froissée d’un encrier

Et je n’ai pour te voir

que deux yeux et un crayon noir

Tu es belle dans la minute où j’écris ce poème

Afin qu’en le lisant chacun puisse l’entendre

En oubliant le tableau noir

Épitomé – Clapàs, avril 2010

 
Le visible est un petit bout d’invisible

La plume avancée du chant que procure l’oiseau


De l’autre côté du rayon

Une femme à la concrétion parfaite

Défile au milieu des lianes et des ananas

Économie du peu – Clapàs, avril 2010

 
Les derniers hérissons qui meurent sur les routes

Rappellent aux automobilistes

Le caractère inoffensif de leurs piquants


Tant que tu auras pour la flaque d’eau

Le mépris d’une paire de chaussures bien cirées

Tu n’as rien à attendre de la pluie

Bluettes – La Bartavelle, 2002

« Et ceci encore: ce que tu vois dans le tableau de Shitao n’est pas seulement là pour être vu. Non, ce qui jaillit de l’obscurité lorsque le jour se lève, ce qui envahit le paysage lorsque la nuit se retir, c’est encore la nuit, le vide que la nuit laisse derrière elle. Ce que tu vois n’a pas d’autre motif que de donner un peu de lumière pour regarder de l’autre côté de la nuit une autre nuit encore tout éclairée de jour à l’ombre de la nuit. »


« Quand je regarde la tête de Jayavarman j’ignore s’il fait jour j’ignore s’il fait nuit. Je me dis qu’au delà de la nuit cette lumière qui vient probablement de l’intérieur ne peut être que la lumière du jour. Tout cela parce qu’à travers l’invisible visage il y a des fleurs des arbres des oiseaux dans les arbres et que la vie a besoin de lumière. Mais je me dis aussi que cette lumière, ce sourire, a dû traverser mille visages avant de sourire, que pour resplendir ainsi Jayavarman n’a plus besoin de soleil, je veux dire que le soleil est dans le visage comme le jour dans la nuit et que là où il est la nuit ne fait plus peur. »