« Comme si rien n’était différent, pas même la joie. Comme si de rien naissaient toutes sortes d’intimités, l’illumination soudaine de ne plus être le centre d’un monde mais un morceau sans lieu, inerte et plein de vie qui flotte là ou ailleurs, cherchant quelqu’un, quelque chose ou personne, et nulle identité souveraine pour dire autrement qu’il existe ou bien qu’il est. »
Catégorie : RECUEILS
À la source négative d’une différence – Clapàs, 2014
« Pour l’arbrisseau des garrigues
L’existence d’un pli rend le pompon
Laineux aussi désirable qu’un
Bouton de nacre la fente inclinée d’un Surplis »
« Au milieu d’une simple harmonie lorsque
La couleur dominante s’efface
Et qu’un rien dont
On avait conclu qu’il n’était là
Pour personne devient au sein même d’un
Corps insoumis
La couleur d’un autre soi-même oubliée
Bien qu’il soit surpris »
Pierre d’attente et fleurs configurées – Encres de Jean Millon – Les Cent Regards, 2014
« La chute immédiate après la perte des eaux est le moment
que choisit l’invisible pour faire irruption sous la peau »
« Autant que l’eau elle est la source
Autant que le poisson elle préfigure l’oiseau
En elle une étincelle ruisselle
À sa vue la nuit noire trouve le toit d’un repas chaud
Mais il n’est pas une fenêtre qu’elle n’ait voulu saisir
De son pouls pierreux
Autant que l’air elle respire
De sa parole dépend le débit des cours d’eau
L’inclinaison des collines
Le torrent des pluis et l’écho »
Pierre d’attente et fleurs configurées – Clapàs, juin 2013
La rose que réfléchit le feuillage n’est pas la fleur mais l’arbre imaginé ce qui frotte au désir ce qui rend la surface concave et le pli murmuré n’est pas la vie qui en toutes choses ensemence de solitude la baguette du coudrier mais le rien qui manque à la chose dont le désir parfois échappe à la volupté.
p. 49
Puis la pierre se retire
On ne voit plus rien que la fleur
L’attente rendait l’impatience inerte
Voici l’inerte au bras de l’éclosion
Depuis l’insurrection de la première pierre
Toute l’inertie d’une force
Rentrant par le moins fréquenté des chemins
Quand les fleurs par milliers
Guettaient l’explosion d’un atome
La pierre l’extension
D’un trèfle à quatre coeurs
Passage cristallin par les massifs de chromosomes
La vie prend en essor la faiblesse des mondes
L’immobile moteur de la flore et des parchemins
p. 116
Économie du peu. Suivi de : Épitomé – Clapàs, juin 2013
« Économie: l’agencement harmonieux de tout et de ses parties.
Du peu: la multiplication des choses simples et nécessaires dont l’abondance nous est donnée par surcroît.
Economie du peu: la vie dans le retrait merveilleux d’un monde où quelques mots suffisent à fixer la lumière.
Brièveté d’une forme sensible à la modicité des moyens. »
« Imaginez que vous êtes dans une de ces grandes surfaces où l’on consomme à tout va.
Imaginez que vous n’avez rien à acheter, rien à vendre non plus, mais que vous avez envie de vivre. Imaginez que vous êtes poète et que ce monde marchand où vous êtes tombé par hasard, vous allez lui en donner la beauté d’une promenade enchantée.
Imaginez, comme autrefois, entre les portiques d’une nature idéale, le regard d’un cintre dans une cabine d’essayage, un string sur le tapis roulant d’une caisse enregistreuse, une fille chewing-gum, un déjeuner sur l’herbe au pied d’une machine à boissons. Imaginez vous en paysan sous le regard captif d’une caméra de surveillance, trouvez le passage, allumez tous vos sens. La vie est là, subversive, dans l’abrégé d’un livre de lutte pour la poésie d’aujourd’hui. »
Trois poèmes de survie – Clapàs, mai 2011
« Seigneur si le bon Dieu a une âme promets que dans le paradis il fasse encore des joues qui se frôlent des yeux complices de l’amour et des coccinelles à sept points pour effacer les péchés » Henri Rodier, Trois poèmes de survie
Cartons à poèmes – Illustrations de Christophe Liron – Clapàs, 2011
Tu es belle dans la minute
On dirait du papier rempli de chocolat
Tu es belle sans savoir ni comment ni pourquoi
Le climat se réchauffe tu en as plein les doights
Tu es belle dans un monde où pour devenir roi
Il faudrait une reine et je ne vois que toi
Personne d’autre ne pourra monter
Avec la fumée sur le toit
Tu es belle comme du papier de soie
J’ai vu au fond d’une bouteille
Le message oublié qui flotte entre les doigts
Le monde se ferme
A la lisière des villes des oiseaux
chantent encore
Mais ils n’ont pour voler
Que la volière close des lucarnes
et des pigeonniers
Tu es belle comme un éclat de voix
Parfois la nuit je te regarde
On dirait que tu sors toute froissée d’un encrier
Et je n’ai pour te voir
que deux yeux et un crayon noir
Tu es belle dans la minute où j’écris ce poème
Afin qu’en le lisant chacun puisse l’entendre
En oubliant le tableau noir
Épitomé – Clapàs, avril 2010
Le visible est un petit bout d’invisible
La plume avancée du chant que procure l’oiseau
De l’autre côté du rayon
Une femme à la concrétion parfaite
Défile au milieu des lianes et des ananas
Économie du peu – Clapàs, avril 2010
Les derniers hérissons qui meurent sur les routes
Rappellent aux automobilistes
Le caractère inoffensif de leurs piquants
Tant que tu auras pour la flaque d’eau
Le mépris d’une paire de chaussures bien cirées
Tu n’as rien à attendre de la pluie
Bluettes – La Bartavelle, 2002
« Et ceci encore: ce que tu vois dans le tableau de Shitao n’est pas seulement là pour être vu. Non, ce qui jaillit de l’obscurité lorsque le jour se lève, ce qui envahit le paysage lorsque la nuit se retir, c’est encore la nuit, le vide que la nuit laisse derrière elle. Ce que tu vois n’a pas d’autre motif que de donner un peu de lumière pour regarder de l’autre côté de la nuit une autre nuit encore tout éclairée de jour à l’ombre de la nuit. »
« Quand je regarde la tête de Jayavarman j’ignore s’il fait jour j’ignore s’il fait nuit. Je me dis qu’au delà de la nuit cette lumière qui vient probablement de l’intérieur ne peut être que la lumière du jour. Tout cela parce qu’à travers l’invisible visage il y a des fleurs des arbres des oiseaux dans les arbres et que la vie a besoin de lumière. Mais je me dis aussi que cette lumière, ce sourire, a dû traverser mille visages avant de sourire, que pour resplendir ainsi Jayavarman n’a plus besoin de soleil, je veux dire que le soleil est dans le visage comme le jour dans la nuit et que là où il est la nuit ne fait plus peur. »