Le bois de la Rouvière sera mon dernier tombeau

 

« Mais comment parler s’il n’y a rien à dire s’il n’y a pas d’oiseaux s’il n’y a plus d’oiseaux s’il n’y a jamais eu d’oiseaux comment dire pharaon pour quelques hiéroglyphes roitelet rouge-gorge chardonneret s’il ne subsiste plus que quelques duvets comment nommer une porte verrouillée une alouette fauchée par une moissonneuse une fenêtre aux volets tirés une toiture qui recouvrirait une autre toiture et puis une autre toiture et cela sans jamais voir le ciel sans la moindre idée qu’il puisse exister autre chose qu’une pénombre des milliards d’étoiles nichant dans un éboulis  » Henri Rodier, Le bois de la Rouvière sera mon dernier tombeau, 2021

 

 

De l’inexistence aux dépôts de l’innéité – Henri Rodier

 

« J’ai toujours eu la sensation d’être un fragment. La sensation d’appartenir à une mosaïque. L’inerte circule aussi bien que la corporéité. Le matin, lorsque le jour se lève, je sens un archipel s’éveiller. Une nuée d’oiseaux habite les feuillages. Une brise légère visite les îlots dissipés. Tout est là et rien ne sépare, rien ne se retire que pour être plus facilement inspiré. Chaque paysage est un assemblage, la passerelle d’un temple, le calice d’un encrier. » Henri Rodier, De l’inexistence aux dépôts de l’innéité, 2021

 

 

Première apparition de l’herbe – Clapàs, avril 2016

« Pourquoi y aurait-il tant de différences entre la peau que l’on touche et celle qui est touchée ! Entre l’arbre qui chante et l’oiseau prêt à s’envoler ! Entre le jour qui se lève et la nuit ! Entre la femme et l’enfant lequel désire, lequel est désiré ! Pourquoi y aurait-il oublié de soi-même un langage fait de silence et un autre bruissant de sons inachevés? Pourquoi cette insouciance dans le peu de sommeil qui reste pour tenter de la retrouver? Je me disais qu’en dessous de la jupe elle avait une combinaison en viscose ou bien un caraco que je ne verrais jamais. »


« L’éléphant suivait la berge en s’éloignant petit à petit du pont. Jadis il avait imaginé lui aussi qu’il pourrait changer l’amour avec une trompe maladroitement posée sur quatre sabots. Il avait imaginé qu’en marchant sur l’herbe avec un barrit plein de gratitude, la majesté viendrait au monde et avec elle le pas délicat d’une danse plus légère que l’air. Il suivait la berge comme le corps mystique d’une chapelle l’horizon mélancolique d’un morceau de terre en plein ciel. »

Introduction au geste impensé d’un caillou – Clapàs, avril 2016

« Nous ne sommes ni les prédateurs de ressources rares ni les fossoyeurs d’une terre saturée de bombes à retardement. Pas plus que ne compte le regard sublime que nous portons sur les forêts primitives, les sommets éternellement enneigés, la mer infinie qui fait rêver les touristes, ne  compte l’idolâtrie que nous avons de nos muscles, la certitude qu’en étant des humains nous avons un droit de vie et de mort sur les taupes, les sauterelles, les limaces et les sans-abri. Nous ne sommes ni des faiseurs d’idoles ni des contempteurs. Nous ne sommes rien ni personne sinon la conscience que le moindre caillou nous a donnée à force d’entendre, afin que nous en fassions le même usage que l’herbe, la même contemplation que les arbres dont les parfums voyagent au milieu de la nuit. »

Le geste impensé d’un caillou – Clapàs, juillet 2014

« Comme si rien n’était différent, pas même la joie. Comme si de rien naissaient toutes sortes d’intimités, l’illumination soudaine de ne plus être le centre d’un monde mais un morceau sans lieu, inerte et plein de vie qui flotte là ou ailleurs, cherchant quelqu’un, quelque  chose ou personne, et nulle identité souveraine pour dire autrement qu’il existe ou bien qu’il est. »

À la source négative d’une différence – Clapàs, 2014

« Pour l’arbrisseau des garrigues

L’existence d’un pli rend le pompon

Laineux aussi désirable qu’un

Bouton de nacre la fente inclinée d’un Surplis »


« Au milieu d’une simple harmonie lorsque

La couleur dominante s’efface

Et qu’un rien dont

On avait conclu qu’il n’était là

Pour personne devient au sein même d’un

Corps insoumis

La couleur d’un autre soi-même oubliée

Bien qu’il soit surpris »

Pierre d’attente et fleurs configurées – Encres de Jean Millon – Les Cent Regards, 2014

« La chute immédiate après la perte des eaux est le moment

que choisit l’invisible pour faire irruption sous la peau »


« Autant que l’eau elle est la source

Autant que le poisson elle préfigure l’oiseau

En elle une étincelle ruisselle

À sa vue la nuit noire trouve le toit d’un repas chaud

Mais il n’est pas une fenêtre qu’elle n’ait voulu saisir

De son pouls pierreux

Autant que l’air elle respire

De sa parole dépend le débit des cours d’eau

L’inclinaison des collines

Le torrent des pluis et l’écho »