À l’écoute du rien – Entretien avec Henri Rodier

Dans cet entretien, le poète Henri Rodier revient sur son recueil Rien jadis ou peut-être déjà. Il aborde le thème du rien dans la poésie et la pensée, la place de l’homme dans la nature ou encore le rôle du poète.

Rien

Le bois de la Rouvière sera mon dernier tombeau

 

« Mais comment parler s’il n’y a rien à dire s’il n’y a pas d’oiseaux s’il n’y a plus d’oiseaux s’il n’y a jamais eu d’oiseaux comment dire pharaon pour quelques hiéroglyphes roitelet rouge-gorge chardonneret s’il ne subsiste plus que quelques duvets comment nommer une porte verrouillée une alouette fauchée par une moissonneuse une fenêtre aux volets tirés une toiture qui recouvrirait une autre toiture et puis une autre toiture et cela sans jamais voir le ciel sans la moindre idée qu’il puisse exister autre chose qu’une pénombre des milliards d’étoiles nichant dans un éboulis  » Henri Rodier, Le bois de la Rouvière sera mon dernier tombeau, 2021

 

 

De l’inexistence aux dépôts de l’innéité – Henri Rodier

 

« J’ai toujours eu la sensation d’être un fragment. La sensation d’appartenir à une mosaïque. L’inerte circule aussi bien que la corporéité. Le matin, lorsque le jour se lève, je sens un archipel s’éveiller. Une nuée d’oiseaux habite les feuillages. Une brise légère visite les îlots dissipés. Tout est là et rien ne sépare, rien ne se retire que pour être plus facilement inspiré. Chaque paysage est un assemblage, la passerelle d’un temple, le calice d’un encrier. » Henri Rodier, De l’inexistence aux dépôts de l’innéité, 2021

 

 

De l’absence de jour aux premiers contreforts de l’enfance

 

« Des garçons grimpent sur les troncs

Des platanes alignés le long d’un chemin

De peur qu’ils tombent

On a mis des matelas pneumatiques

Une fontaine servant d’abreuvoir

Se trouve tout près d’un moulin

La roue de pierre toute ronde

Gît sous l’épaisseur des feuillages

Dès les premiers déblaiements

Un souffle sort d’une fissure »
 
 

Réponse de la petite fille au grillon

« La petite fille secoue la tête

Non trois fois non je n’irai pas

Ne dis pas que je vis ne dis pas que je rêve

Je peux bien me passer de ce qu’on m’a promis

Mais grandir ça jamais je ne bougerai pas

Ma vie est ici au milieu des guarrigues

Et pourquoi voudrais-tu que j’aille voir ailleurs

Les autres sont trop grands

Pas un seul ne passerait une lucarne

Dans la vie que je suis toute seule d’attendre

Le ciel est bleu et j’ai faim de tartines de miel

Si jamais je devais grandir plus que mon âge

C’est toute la raison qui prendrait le dessus

Et moi je ne veux pas devenir raisonnable

Je veux naître à l’envers de la suite des jours

Rien ne me fera changer de taille ni d’avis

Je veux franchir le réveil de l’enfance

En gardant dans l’exil

La couveuse du temps qui court »

Henri Rodier